LE TEMOIGNAGE D'ERNEST PELLOTIER
LA TELEVISION EN UBAYE
Alors que depuis 1937, la télévision naissante projetait sur les ondes ses premiers programmes, à la grande satisfaction du public, la population de la vallée de BARCELONNETTE se voyait résignée de ne pouvoir bénéficier des agréables soirées que croyait-elle, cette science nouvelle allait se trouver, techniquement incapable de lui offrir.
Ne disait-on pas que la télévision ne pouvait se transmettre qu'à vue ? Fallait-il alors raser nos montagnes pour tenter de profiter des avantages de cette nouvelle invention que seule la Grande Etoile dont le réémetteur puissant balayant déjà toute la Provence, ne pouvait nous donner ?
C'était sans compter sur le Progrès qui avait prévu de combler cette lacune par un seul mot : les relais. C'était surtout sans compter sur trois volontés qui se manifestèrent à BARCELONNETTE et qui ont chacune un nom : M. ALPHAND, M. FABRE, M. PELLOTIER.
Ces trois volontés n'en firent bientôt plus qu'une seule mais énergique et tenace. Elles eurent l'idée de doter le pays de cette belle invention. Cela se passait en 1958.
Un jour, nous apprîmes qu'une réunion allait se tenir à GAP pour discuter de cette question et des moyens « d'arroser » toute la contrée des Hautes et Basses-Alpes.
Cette réunion provoquée par M. LESBROS du DEVOLUY fut présidée par M. DUBOIS-CHABERT, Préfet des Hautes-Alpes et animée par M. GIRAUD, Directeur de l'ORTF à MARSEILLE. Toutes les vallées étaient représentées : Queyras, Vallouise, Haute-Durance, Guisane, Champsaur, Valgaudemar.
Nous nous rendîmes à cette réunion, M. ALPHAND, M. FABRE et moi-même pour représenter la vallée de l'Ubaye. La réunion devait durer quelques heures au cours desquelles toutes possibilités furent envisagées, toutes les requêtes doléances furent présentées. La discussion devint même houleuse et des paroles violentes furent même prononcées, allant jusqu'à s'insurger contre la carence de l'ORTF jugée incapable de donner satisfaction à ces vallées déshéritées pour qui, plus que pour tout autre, la télévision était nécessaire.
Tout en prenant une part effective aux débats, nous écoutions, nous enregistrions, disposés à en tirer ensuite des conclusions susceptibles de guider notre politique future mais certain déjà que toutes ces formulations, parfois caustiques, n'étaient pas la bonne solution et qu'elles étaient plutôt de nature à indisposer l'ORTF quant à ses intentions futures à l'égard des projets à venir.
Une phrase alors fermement prononcée par M. GIRAUD devait mettre fin à la discussion : « pour des raisons d'ordre financier, dit-il, tout ne peut pas se faire en un jour ; lorsqu'on inventa le téléphone, son installation mit cinquante ans pour parvenir au plus profond de vos vallées. Les communes qui désireraient réduire ce délai devront supporter les frais de l'installation ».
Ca y est la phrase fatidique était lancée. N'était-il pas plus simple de commercer par là.
A notre rentrée à BARCELONNETTE, nous étions fixés et notre conduite était toute tracée : aux difficultés techniques que nous allions rencontrer, il fallait ajouter celles du financement. Bah ! On y arrivera.
Bien sûr, avant de prendre les contacts nécessaires avec l'ORTF, il ne s'agissait pas d'aller vite mais sûrement.
ALPHAND, notre technicien fut tout d'abord chargé d'accomplir la première phase de l'opération. Il fallait chercher toujours plus loin et toujours plus haut le lieu favorable, le point adéquat susceptible de nous satisfaire et de nous permettre de vaincre, dans cette nature hostile les exigences qui nous étaient imposées. Dans cette tâche sévère et épuisante, M. ALPHAND était souvent aidé de M. FABRE dont la force physique et le pied montagnard lui étaient très utiles pour l'aider dans ses recherches.
Pour ce qui me concernait, certain déjà de la réussite, je pensais déjà aux incidences financières de l'opération, ce qui allait nécessiter la création d'un Syndicat Intercommunal. Les communes les plus proches furent contactées, et le Syndicat ainsi formé allai s'agrandissant au fur et à mesure des bonnes nouvelles que m'apportaient mes camarades suivant les possibilités d'élargissement de la zone « arrosable ».
Quelque temps après, disons des mois, nous connaissions déjà quelques points favorables susceptibles d'être envisagés pour l'implantation du récepteur-réémetteur. Mais notre technicien étai formel : relais indispensable.
C'était le moment de contacter l'ORTF.
Nos démarches furent nombreuses avant que nous soit envoyé de MARSEILLE un ingénieur de l'office : M . VASSEUR, un homme dur et exigeant sans doute mais objectif et compréhensif. Il s'intéressa immédiatement à « notre affaire » et surtout ne nous découragea pas.
La chance nous servit en ce sens que l'ORTF envisageait déjà d'installer dans le bas de la vallée, un réémetteur susceptible d'arroser » la ville de GAP, déjà desservie par le Col de Manse mais mal desservie. Le lieu d'implantation de ce nouveau réémetteur se trouva subordonné aux besoins de deux zones : GAP et BARCELONNETTE.
L'ORTF fixa son choix sur le Mont Colombis. Les essais effectués sur ce point furent concluants, après plusieurs sondages cependant.
Pour notre contrée, le point choisi fut fixé au BREC (Commune d'ENCHASTRAYES), seul endroit qui pouvait nous permettre plus tard de desservir la Haute-Vallée. Une chose sérieuse venait d'être accomplie.
Pour parvenir à ce stade de l'opération, il ne fallut pas moins de deux années.
Il fallait maintenant aborder une question non mois sérieuse, sinon plus : le financement de l'opération.
Dès lors, le syndicat intercommunal pour lequel j'avais déjà posé des jalons s'imposait.
En toute conscience et en toute justice, seules les communes susceptibles de recevoir les images furent consultées. Elles étaient au nombre de onze : BARCELONNETTE, LA CONDAMINE, JAUSIERS, FAUCON, ENCHASTRAYES, LES THUILES, UVERNET, SAINT PONS, LE LAUZET, MEOLANS et REVEL.
Les trois communes de la Haute-Vallée – SAINT PAUL, MEYRONNES et LARCHE, non arrosables pour l'instant, en raison du relief des montagnes qui les entouraient eurent cependant la promesse solidaire du Syndicat qui s'engagea à poursuivre son action d'extension du réseau, dès que la possibilité de le faire apparaîtrait.
La répartition des charges à supporter par les communes fut envisagée sur la base d'une taxe de capitation établie au prorata du nombre des habitants de chacune d'elles et variable en fonction des dépenses engagées annuellement. Deux membres furent désignés dans chaque commune et chargés de la représenter dans les réunions du Syndicat. J'en fus nommé Président, M. FABRE, vice-Président et M. ALPHAND, conseiller technique. Le secrétariat fut confié à M. CHELOTTI et M. FARAUT assura les fonctions de Trésorier, le tout sous la tutelle sous-préfectorale.
L'exécution du projet démarra aussitôt : Achat du terrain où seraient implantés l'abri et le pylône, contact avec les propriétaires des terrains servant au passage de la ligne électrique, abatage des arbres, construction de l'abri recevant le réémetteur, contact avec la SEFAT pour l'achat du réémetteur.
A la fin de l'été 1962, toute l'infrastructure était faite.
De son côté, l'ORTF procédait à l'installation du Mont Colombis et déjà les techniciens avec leurs appareils spéciaux procédaient à des sondages entre Brec et Colombis qui s'avéraient satisfaisants.
M. GUETTE, jeune ingénieur de la SEFAT nous fut dépêché par elle pour la mise en place de tout l'appareillage.
Nous étions prêts à fin octobre 1962.
Il ne restait plus qu'à attendre la fin des travaux du Mont Colombis pour mettre le contact au réémetteur.
Alors que chaque jour, nous étions en contact avec le Colombis pour nous tenir au courant de l'avancement des travaux, nous fûmes surpris d'apprendre, par le journal du vendredi 16 novembre que le réémetteur du Mont Colombis fonctionnait depuis la veille. C'était impardonnable de la part de l'ORTF qui, nous l'avons su plus tard, ne comptait nous brancher que le lundi. J'appelai immédiatement par téléphone M. VASSEUR à MARSEILLE. Je lui adressai une supplique désespérée faisant état de l'impatience de notre population et surtout du temps douteux qui risquait de nous amener la neige à tout instant. Les ordres furent immédiatement donnés et le lendemain matin samedi, M. GUETTE arriva à BARCELONNETTE, « en chaussures basses » (belle tenue pour monter au Brec). M. ALPHAND et lui partirent dès le début de l'après-midi pour brancher l'appareillage alors qu'il commençait à neiger. Les premières images apparurent à 16 heures. A 20 heures, alors qu'il y avait déjà 40 cm de neige au sol, il y avait aussi la télévision en Ubaye. C'était le 17 novembre 1962.
Deux ans après, je me faisais relever de mes fonctions, mais l'action du syndicat continuait à se poursuivre.
Quelques temps après, trois réémetteurs de plus desservaient la Haute-Vallée alors que l'on commençait à parler de la deuxième chaine.
Le syndicat fut ensuite dissous et ensuife incorporé au Syndicat Intercommunal à Vocation Multiple sous la forme d'une section spéciale don M. FABRE est le principal animateur.
Ensuite, nouvelles négociations, nouveau projet concernant l'installation de la deuxième chaine. Sa réalisation est presque terminée puisque au moment où j'écris (8 décembre 1972) mon ami FABRE vient de m'annoncer que, sauf imprévu, les images apparaîtront vers la mi-décembre.
Beau cadeau de Noël pour notre population.
Il fallut quatre ans pour donner la première chaine alors qu'on parlait déjà de la deuxième. Il aura fallu dix ans pour recevoir la deuxième chaine, alors que l'on parle de la troisième chaine.
Serons-nous toujours en retard d'une chaine ?
Qu'importe puisqu'il n'y a que le résultat qui compte.
ERNEST PELLOTIER
