LE TEMOIGNAGE D'ODILE ALPHAND

En 1961, la télévision est entrée dans les foyers français depuis déjà plusieurs années. La vallée de l'Ubaye, quant à elle, reste en dehors de ce qui est une vraie révolution dans notre mode de vie.

Deux ubayens décident qu'il est grand temps de remédier à cette situation, ce sont Jean ALPHAND et Ernest PELLOTIER qui se sont mis dans la tête d'amener la télé en Ubaye.

Jean ALPHAND était propriétaire depuis l'après guerre d'un magasin d'électronique et de radio, rue Grenette puis au 9, rue Manuel. Ernest PELLOTIER était adjoint au Maire de BARCELONNETTE, M. Lucien FABRE.

Jean ALPHAND et Ernest PELLOTIER se sont mis en contact avec l'ORTF à GAP pour faire des essais de relais.

Le relais principal, Le Colombis, près de REMOLLON est le relais sur lequel la vallée doit se raccorder sachant que les ondes télé se propagent en ligne droite et que tout obstacle leur fait rebrousser chemin (je ne suis pas un grand spécialiste). L'objectif est donc de capter le signal du COLOMBIS.

Le site idéal serait DORMILLLOUSE mais il n'y a pas d'accès. Il faut donc trouver un autre site.

Une équipe se constitue : Jean ALPHAND, bien sûr, Jean RIZZI qui travaillait aux Ponts et Chaussées, Maurice PROAL et un ingénieur, copain de Maurice. Ensemble, ils vont crapahuter sur les sommets de la vallée à la recherche du lieu idéal pour implanter le relais.

Pour ce faire, Jean ALPHAND avait fabriqué un émetteur-récepteur d'une quinzaine de kilos protégé par un cadre en bois arrimé dans un sac à dos.

Les sommets de PEGUEIOU et de la GRANDE EPERVIERE ont été testés.

A ce sujet, Odile ALPHAND se souvient – PRA LOUP n'existant pas encore – être montée à pied avec son mari après la fermeture du magasin au sommet de PEGUEIOU faire un essai et être redescendus avec une lampe électrique, fatiguée d'avoir un peu participé au portage du sac, mais un peu déçue de n'avoir vu qu'un « MATCH DE FOOT » après tant d'efforts !!!

Elle se souvient également d'un essai à la FRESQUIERE dans le jardinet à droite du grand bâtiment le long de la route, l'actuelle mairie. Il y a au dessus de la Fresquière, une grande dalle de pierre « Lauza Plana »que le signal du COLOMBIS percutait pour être ensuite renvoyé vers le jardinet, on appelait cela un écho. Avec une grande antenne, un match de foot a pu être deviné dans le poste de télé.

Finalement, c'est sous le BREC que l'emplacement permettant « d'arroser » BARCELONNETTE a été choisi. L'équipe s'est alors mise en relation avec l'ORTF pour que ce relais soit opérationnel.

Ernest PELLOTIER, Lucien FABRE et Honoré COUTTOLENC ont œuvré à la partie administrative du projet. Mme ALPHAND se souvient de réunions à la Sous-préfecture où lorsque un projet était refusé, Honoré COUTTOLENC sortait en disant « c'est comme si c'est oui. »

Le grand jour, tant attendu par la population est arrivé enfin, le 17 novembre 1962, il y a 50 ans. Un mètre de neige était tombé au Brec mais tout a fonctionné.
Une unique télé avait été placée dans la vitrine du magasin au 9, rue Manuel.

Ce fut une déferlante, tout le monde voulait une télé. Des cartons entiers de télé arrivaient chaque semaine.

Une entreprise de GRENOBLE, la SEFAT venait installer des antennes sur les immeubles (son patron venait à BARCELONNETTE en avion et se posait sur le tout nouvel aérodrome de SAINT-PONS).

Jean ALPHAND a installé également tout l'hiver des antennes sur les toits, par un hiver très rigoureux (-17°).

Les téléviseurs étaient des SCHNEIDER de grande qualité.

Les programmes finissaient à minuit et les gens qui n'avaient pas de télé venaient la regarder au magasin toute la soirée, jusqu'à une heure tardive.

Il y avait à l'époque une seule chaîne en noir et blanc. Les cafés étaient noirs de monde pour voir la télé. Odile ALPHAND se souvient que pour un match de foot, la télé avait été installée dans la vitrine et le haut-parleur à l'extérieur devant le magasin, mais à la fin du match, pendant 20 minutes environ, le haut-parleur avait continué à diffuser les messages de la gendarmerie toute proche… au grand dam des militaires.

A l'époque, le relais du Brec n'avait pas de sécurité (le terme technique n'est peut-être pas approprié). Le relais pouvait « sauter » et la diffusion était interrompue. L'hiver, Monsieur ALPHAND devait alors monter en ski pour effectuer la réparation. Ensuite à partir de 1965, une petite chenillette rouge, dont certains se souviennent a été mis à la disposition de Monsieur ALPHAND par la commune.

BARCELONNETTE était ravie de recevoir enfin la télé mais le reste de la vallée attendait toujours et s'impatientait franchement « ça râlait de partout ».
Le temps d'arpenter les sommets était revenu pour trouver les emplacements favorables pour installer les relais « pirates » capables de relayer le signal du relais du Brec.

Les communes étaient très demandeuses et les habitants également qui souvent aidaient à porter le matériel. A RIOCLAR, un habitant avait mis à la disposition de Jean ALPHAND un traineau et un mulet pour accéder à sa maison.

Les relais « pirates » successifs ont été ceux de :

  • LA CONDAMINE,
  • GOUITROUX au dessus de MEOLANS pour renvoyer le signal vers LE LAUZET,
  • COSTEPLANE
  • l'ADROIT pour arroser UVERNET (des essais avaient été faits à la Grande Epervière),
  • SAINT-PAUL au Fort de Serre du Laux
  • LARCHE

Dont il assurait le dépannage.

En une année et demie, toute la vallée avait accès à la télé. Les relais « pirates » ont été repris ensuite par l'ORTF.

La couleur est arrivée en 1972 avec la deuxième chaine.